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L'APEPP devient ainsi le troisième projet du laboratoire subventionné par l'Agence. Joseph LANFRANCHI, qui le dirige pour le LEMMA, a accepté de nous en dire davantage.
Le projet APEPP associe trois structures de pointe : le CEET (Centre d’études de l’emploi et du travail, intégré au CNAM), le CREST (Centre de recherche en économie et statistique, dépendant du GENES, Groupe des écoles nationales d’économie et statistique de l’INSEE) et le LEMMA (Laboratoire d'économie mathématique et de microéconomie appliquée), dirigé par le professeur Antoine BILLOT. Placé sous le pilotage de Mohamed BEN ALIMA (CEET-CNAM et ESCP Europe), c’est un projet très équilibré, avec un volet d’analyse de politiques publiques (approche encore trop rare en France) et un volet d’étude des organisations de l’entreprise, en prise directe avec les enjeux politiques et sociétaux contemporains.
L’objectif du projet est d’apporter des éléments nouveaux de compréhension de l’absentéisme pour maladie des travailleurs. Dans un contexte social de maîtrise des dépenses d’assurance maladie mais aussi d’évolution profonde de l’organisation des entreprises et du travail, il est fondamental de s’interroger sur les mutations en cours pour mieux mesurer, mieux expliquer et mieux gérer les phénomènes liés à l’absentéisme comme au présentéisme au travail. Du côté des politiques publiques, il s’agira d’estimer les effets que les réformes récentes de la couverture maladie et du système de retraite ont pu avoir sur les arrêts maladie (en termes de fréquence et de durée), les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Les bases de données qui seront étudiées autorisent des comparaisons très fines entre des cohortes touchées ou non par les différentes réformes, selon que les individus sont concernés ou non par l’allongement du temps de travail, par les modifications légales des règles d’indemnisation des absences pour maladie, etc. Le projet prévoit ainsi, pour le privé, le croisement des données liées à l’absentéisme et aux maladies professionnelles avec celles relatives au détail des conventions collectives des principales entreprises françaises, qui dans certains cas s’avéraient aussi généreuses, ou plus généreuses encore que les évolutions de la loi. Des bases de données publiques concernant la fonction publique territoriale et hospitalière permettront d’étudier spécifiquement l’impact des politiques contradictoires instaurant, puis retirant un jour de carence dans la fonction publique, dans des métiers très particuliers au regard de l’organisation du travail. En comparant les moyennes, l’observation montre que le présentéisme est plus important dans le public que dans le privé et, au sein du secteur public, c’est dans la fonction hospitalière qu’il est le plus élevé. Une collaboration avec des équipes d’épidémiologues du CNAM spécialistes de ces questions et de l’APHP est prévue afin de confronter les résultats en population générale, issus d’enquêtes nationales, dont le LEMMA dispose avec les données de terrain.
Outre qu’il intéresse tout le monde aujourd’hui, l’axe santé-travail pris sous l’angle de l’absentéisme (et de son revers, le présentéisme) permet de remettre en cause un certain nombre de préjugés, et de modifier les approches. L’économie réalisée sur les pensions de retraite avec l’allongement du temps de travail ne sera-t-elle pas annulée, voire inversée en raison de la dégradation des conditions de santé des actifs les plus âgés ? Si, comme cela a été montré, le durcissement de l’accès à l’indemnisation des absences pour maladie conduit les actifs à prendre moins d’arrêts de courts terme, mais inversement davantage d’arrêts de long terme, le bénéfice pour les caisses de l’assurance maladie n’est-il pas au final négatif ? Les analyses existantes tendant à prouver que le présentéisme reviendrait plus cher au final que l’absentéisme peuvent-elles être corroborées par cette nouvelle étude ? Enfin, quel est le rôle des entreprises elles-mêmes dans l’évolution de l’absentéisme ?
L’analyse des modifications de l’organisation et du management du travail à l’intérieur de l’entreprise, et de son impact sur l’enjeu santé-travail, constituera le second volet du projet. Le traitement croisé de bases de données appariées (employeur/salariés) permettra ainsi de mesurer l’évolution des absences pour maladie, des maladies professionnelles et des accidents du travail au regard de l’ampleur variable des changements dans l’organisation du travail, entreprise par entreprise, de constituer une typologie des pratiques d’organisation et éventuellement d’isoler les facteurs organisationnels associés aux plus forts effets en termes de santé-travail.
L’association de données subjectives (le ressenti des employeurs et des salariés, l’explication que les agents peuvent donner de leurs comportements) à des données objectives chiffrées permettra de s’interroger avec finesse et précision sur les mécanismes de causalité qui donnent lieu à l’absentéisme et, inversement, au présentéisme. Il est possible de penser qu’un individu qui apprécie son travail sera davantage porté au présentéisme ; mais il n’est pas exclu qu’il le soit aussi parce que l’organisation du travail imposée par l’entreprise l’y contraint. Les études menées jusqu’ici tendent à montrer que plus les individus ont de l’intérêt pour leur activité, plus l’organisation professionnelle leur offre d’autonomie (gestion de leur temps de travail, des délais…) et de relais (possibilité de s’appuyer sur leurs collègues), et plus… ils s’arrêtent en cas de maladie. Est-ce un mal, ou un bien – en termes purement économiques ? Les évolutions récentes obligent également à se pencher sur la question du travail à distance, et à évoquer la multiplication des « chartes de déconnexion » imposées par les entreprises qui constatent, notamment chez leurs cadres, un « surinvestissement ». Ces chartes peuvent-elles suffire à endiguer la tendance ? Le problème ne doit-il pas être considéré, en amont, comme relevant des pratiques organisationnelles de l’entreprise ? Au final, qu’est-ce réellement que le temps de travail, aujourd’hui ? Où commence le travail et, surtout, où finit-il ?
Le projet APEPP doit durer trois ans. Dans ce cadre, le LEMMA a été doté dans la perspective d’organiser une conférence, qui aura très certainement lieu en 2020 ou 2021 dans les locaux de Paris 2 et associera des spécialistes du domaine. La subvention servira également à financer la participation à des colloques, la mise à disposition à temps plein du porteur principal du projet et, dans une mesure non négligeable, l’accès aux bases de données des entreprises, désormais gérées par le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) et dont le coût et l’absence de souplesse d’utilisation sont devenus, pour la recherche, un véritable problème. L’obtention de ce financement ANR permettra par ailleurs aux chercheurs de construire de nouveaux réseaux (autres équipes de recherche, ministère du Travail, acteurs mutualistes…), ainsi que d'accéder à des relais (syndicaux, journalistiques…) qui permettront de faire connaître les résultats et d’enrichir le débat public. Toute l’équipe se réjouit, enfin, de renforcer ses liens avec le CEET et le CREST.