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Pilier de la recherche de l'Université Panthéon-Assas depuis 1998, les Éditions Panthéon-Assas publient l’essai de philosophie du droit du professeur émérite Paul AMSELEK. Prix Dupin Aîné de l’Académie des sciences morales et politiques, l’ouvrage était paru pour la première fois en 2012 chez Armand Colin.
À l’occasion de cette réédition, le professeur s’est prêté au jeu de l’interview pour en faire une présentation.
Éditions Panthéon-Assas – Comment vous est venue l’idée de cet ouvrage paru en 2012, que vous rééditez aujourd’hui ?
Paul AMSELEK – Après plus de cinquante ans de pérégrinations philosophiques dans le domaine du droit (depuis la soutenance de ma thèse de phénoménologie juridique en 1962), il m’était apparu qu’il était temps de réaliser une synthèse des idées égrenées au travers de mes travaux et de mes cours à l’université de Strasbourg, puis de l'Université Panthéon-Assas (Paris II). J’étais progressivement parvenu, en effet, à esquisser les bases d’une théorie générale des règles qui manquait cruellement jusque-là et qui était seule capable d’éclairer pleinement l’analyse des règles juridiques et d’en permettre l’approfondissement. C’est elle qui m’a amené à une élucidation capitale et décapante : la découverte d’un travers très généralement répandu, que j’ai appelé « logicisme » et qui consistait à ramener les règles à du simple logos, à des énoncés d’un certain type (énoncés à l’impératif, ou comportant des « foncteurs normatifs », etc.). Cette vue superficielle opérait comme un bandeau posé sur nos yeux et nous empêchant de voir l’essentiel : les règles sont des outils mentaux, constitués certes avec du logos, avec de la pensée codée en langage, mais qui ne se réduisent pas à ce matériau ; il s’agit, plus fondamentalement, d’outils affectés à rendre des services spécifiques à leurs utilisateurs et qui s’inscrivent à part entière dans la panoplie des instruments en tous genres fabriqués et employés par les hommes. Il s’agit, plus précisément, d’outils de mesure, fixant le degré de la possibilité d’avoir lieu des choses. La donnée ainsi dégagée ouvre des perspectives heuristiques entièrement nouvelles et originales, non seulement à la théorie du droit, mais également à la théorie de l’éthique et à la théorie de la science qui ont aussi affaire aux mêmes fondamentaux, c’est-à-dire à des règles ou « lois ».
À la suite de l’épuisement de la première édition, cette réédition de mon ouvrage par les Éditions Panthéon-Assas ne comporte pas de modification, à l’exception d’une mise au point relative à notre pratique langagière métonymique étiquetant couramment les règles juridiques elles-mêmes, au lieu du contenu ou dispositif qu’elles portent, comme étant le droit. Cette ultime élucidation ne remet pas en cause les analyses de fond que j’ai développées au sujet de ces règles ; elle fait l’objet d’une postface. Elle illustre la formule de Husserl selon laquelle le phénoménologue est un « commençant perpétuel ».
Votre livre propose trois itinéraires qui permettent d’explorer « le monde du droit et des règles » : pourriez-vous nous les présenter ?
Le premier itinéraire est intitulé « Le droit, c’est quoi ? Enquête phénoménologique ». Il propose une exploration de l’ontologie des règles juridiques, sur la base de la méthode phénoménologique - et d’elle seule - de « retour aux choses elles-mêmes » de Husserl. Il s’agit, en l’occurrence, d’élucider successivement, pas à pas, ce qu’est exactement une règle au sens le plus général, puis plus spécifiquement ce qu’est une règle éthique ou de conduite, et enfin ce qui particularise les règles de conduite juridiques.
Le deuxième itinéraire a pour titre « Qu’appelle-t-on édicter des règles juridiques ? Théorie des actes de langage et théorie du droit ». C’est une étude de pragmatique juridique faisant application à la pratique du droit de l’éclairante speech acts theory de John Austin. Elle montre que l’édiction des règles juridiques (le jus dicere latin) n’est pas simplement une énonciation de dispositions normatives, une émission d’énoncés ; elle correspond à un acte humain d’autorité consistant à mettre des règles en vigueur - à les rendre obligatoirement applicables - dans un espace social.
Le troisième itinéraire s’intitule « Interpréter le droit n’est pas légiférer. Problèmes fondamentaux de l’interprétation dans le champ juridique ». Cette étude d’herméneutique juridique est essentiellement axée sur la spécificité de l’interprétation des textes juridiques (par rapport à l’interprétation des textes littéraires et théâtraux et à l’interprétation des textes sacrés) et sur la question cruciale de la liberté des interprètes dans ce domaine.
Selon vous quelle place occupe aujourd’hui la philosophie du droit dans le champ juridique ?
Longtemps la philosophie du droit a été tenue en France dans un large discrédit par la communauté des juristes et n’a occupé qu’une place mineure, en raison de ses démarches à caractère essentiellement métaphysique, à arrière-fond religieux ou idéologique, autour des idées de justice et de droit naturel. Elle a pris son essor à partir des années 1970 avec ce qu’on a appelé le « tournant interprétatif dans la pensée juridique », c’est-à-dire le tournant à partir duquel l’interprétation a pris une importance de premier plan dans l’approche du droit et a ouvert de nouveaux horizons à la théorie juridique. Elle a montré depuis, à travers la masse considérable d’ouvrages, de colloques, de thèses qu’elle a inspirés, qu’elle avait toute sa place, et même une place de choix, au sein de la réflexion philosophique : la pratique du droit est, en effet, par la plus grande visibilité qu’elle offre à notre regard, le laboratoire idéal pour l’étude des fondamentaux de l’expérience éthique.
À quel public s’adresse cet ouvrage ?
Ce livre s’adresse, en dehors du monde des juristes, acteurs juridiques, étudiants, au public intéressé par la théorie de la morale et de l’éthique : il lui ouvre des vues inédites, les théoriciens ayant été jusque-là quasi-exclusivement focalisés sur les politiques et les valeurs morales, sur les contenus souhaitables des règles éthiques, et ayant délaissé les aspects techniques fondamentaux de l’expérience éthique, l’être même et les modalités de fonctionnement des règles de conduite, leur nature d’outillage spécifique qui les place dans le champ de la théorie métrologique. Ce livre s’adresse aussi à tous ceux qui s’intéressent à la philosophie de la science, aux théoriciens et aux scientifiques eux-mêmes et, plus généralement, au grand public ouvert à la réflexion sur la science. Il apporte, en particulier, une salutaire et vigoureuse démystification en montrant que dans ce domaine règnent de longue date, incrustées dans nos esprits à l’abri de tout réexamen critique, des vues archaïques extravagantes relatives à la démarche des savants et aux lois scientifiques, aujourd’hui encore sourdement conçues, sans qu’on y prenne garde, sur le modèle et avec le jeu de langage des lois juridiques.
Retrouvez dès à présent cet ouvrage en librairie et en ligne.