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Les Éditions Panthéon-Assas, reflet de la dynamique de la recherche pluridisciplinaire de l’Université Paris-Panthéon-Assas, ont à cœur de promouvoir les travaux universitaires à travers leurs ouvrages.
Quelques mois avant le concours de l'agrégation de philosophie 2023 et afin d'accompager le bicentenaire de la publication des Principes de la philosophie du droit, la parution d'un nouvel ouvrage le 31 janvier 2023 aux Éditions Panthéon-Assas, Hegel et le droit, propose une analyse croisée de la part de juristes et de philosophes à travers l'Europe de la conception hégélienne du droit.
À l'occasion de sa sortie, Élodie DJORDJEVIC, directrice de l'ouvrage, nous livre l'histoire de sa publication et ses enjeux principaux.
L’ouvrage de Hegel, les Principes de la philosophie du droit, sur lequel portent les contributions rassemblées dans ce volume est, de notoriété publique, un texte d’un abord difficile (comme l’est, plus généralement, la philosophie de Hegel), un ouvrage qui est, pour plusieurs raisons, assez rétif à une compréhension immédiate et facile.
À cet égard, l’une des gageures que souhaite relever le volume Hegel et le droit est, dans la mesure du possible, de participer à lever le préjugé d’un caractère incompréhensible, trop « abstrait » ou « inutilisable » de la pensée hégélienne du droit pour des « non-initiés », en partant, non de « la » philosophie de Hegel dans ce qu’elle peut avoir de massif et d’effrayant, mais de questions que peut légitimement se poser quiconque s’efforce de comprendre (ce qu’est) le droit et, avec lui, des aspects importants du monde contemporain. Par exemple : Qu’est-ce que cette réalité et ce régime de normativité très particuliers qu’est le droit ? Quelle consistance accorder aux droits subjectifs ? Le social et le politique mobilisent-ils la même détermination du droit ? Faut-il poser une partition ferme entre droit privé et droit public ? Comment déterminer le rapport entre droit(s) et obligation(s) ? L’État et la constitution peuvent-ils être pensés strictement juridiquement ? Peut-on penser un droit de la nature et du vivant ?
De la sorte, une des ambitions de l’ouvrage est d’émanciper la pensée hégélienne du droit du strict champ des études hégéliennes, sans pour autant sacrifier à la rigueur et au sérieux de l’exégèse et des exigences d’une lecture rigoureuse d’une œuvre philosophique.
Hegel et le droit s’adresse ainsi à toute personne soucieuse du droit et de ses enjeux actuels, qu’elle soit ou non philosophe ou juriste, étudiante, chercheuse aguerrie ou simplement curieuse et avide de comprendre certains des éléments qui participent à structurer des aspects du monde contemporain.
De manière plus circonstancielle et fortuite, les Principes de la philosophie du droit de Hegel étant cette année au programme de l’agrégation externe de philosophie, j’espère que ce volume constituera une ressource utile pour les valeureux agrégatifs de la session 2023 de ce difficile concours !
La cause prochaine de cet ouvrage est le colloque organisé par l’Institut Michel Villey, qui s’est tenu à l’université Paris-Panthéon-Assas en juin 2021, et l’existence de ce volume est ainsi d’abord redevable des raisons qui ont présidé à l’organisation de cette manifestation scientifique. Un faisceau de raisons a motivé ce projet.
D’abord, même si la date peut être discutée car des exemplaires commencent à circuler dès l’automne 1820, c’est bien « 1821 » qu’indique la page de garde de l’ouvrage, de telle sorte que l’année 2021 était celle du bicentenaire des deux cents ans de la publication des Principes de la philosophie du droit, dernier des grands écrits systématiques publiés par G. W. F. Hegel, figure la plus emblématique de l’idéalisme allemand.
Ensuite – et surtout ! –, le fait qu’il s’agisse là d’une œuvre majeure de la philosophie du droit (c’est même le premier ouvrage publié qui porte la locution même de « philosophie du droit » dans son titre), œuvre qui a connu un retentissement et une fortune aussi considérables qu’ambivalents, et qui, à bien égards, est d’un abord aussi difficile que sont féconds les concepts, analyses et développements qu’il déploie pour penser le droit comme, plus largement, bien des aspects juridiques et politiques du monde contemporain.
Enfin, le fait que, spécialiste de la philosophie pratique de Hegel (sur laquelle porte ma thèse de doctorat), j’ai la chance et l’honneur d’être membre de l’Institut Michel Villey, qui est, au sein de l’université Paris-Panthéon-Assas, un centre de recherche de philosophie du droit et de culture juridique.
De la sorte, toutes les conditions étaient réunies pour qu’un événement scientifique sur cet objet et à cette date anniversaire se présente comme particulièrement opportun. J’ai ainsi proposé ce projet à Denis BARANGER, directeur de l’Institut Michel Villey, qui l’a très favorablement accueilli, l’a énergiquement soutenu et a même accepté de participer à son élaboration, toutes choses dont je lui suis extrêmement reconnaissante.
Le colloque lui-même, qui, de fait, est la seule manifestation scientifique qui se soit tenue en France pour le bicentenaire de ce très important ouvrage (ce qui est peut-être notamment dû à la crise sanitaire que nous traversions alors), a connu un très grand succès, rassemblant plus de deux cents inscrits venant de quatre continents (c’est un aspect positif – peut-être le seul – du fait que la manifestation ait dû se tenir à distance, permettant ainsi, notamment, à des chercheurs asiatiques ou africains de pouvoir y assister).
Cette réussite, la grande qualité des contributions et le grand intérêt qui s’est manifesté alors, tant de la part des philosophes que des juristes, a conduit à envisager une publication de ses actes et, en vue de celle-ci, les Éditions Panthéon-Assas, qui sont les presses universitaires de mon institution de rattachement, se sont tout naturellement imposées comme lieu de publication le meilleur et le mieux désigné. J’en ai ainsi soumis le projet à Fabrice D’ALMEIDA et à l’équipe éditoriale qu’il dirige, et j’ai eu le bonheur que cette publication soit effectivement accueillie aux Éditions Panthéon-Assas.
Concernant les aspects plus immédiatement scientifiques de la chose, il n’était bien entendu ni possible, ni raisonnable, ni sérieux, d’envisager de traiter tous les aspects philosophiques de cet ouvrage particulièrement dense, dont les enjeux couvrent l’ensemble du champ de la philosophie pratique (c’est-à-dire des questions relevant aussi bien de la philosophie morale et politique que de la philosophie du droit), mais également des développements relevant de la philosophie de l’histoire et mettant en jeu des questions d’ordre ontologique. Ainsi, deux principes ont guidé la conception de ce colloque et l’ouvrage qui en est issu.
D’abord, conformément à l’inscription institutionnelle du projet et même si les différents plans de la pensée hégélienne ne sont que très artificiellement « détachables », c’est de manière privilégiée sous l’angle de questions relatives à la détermination hégélienne du droit et de ses aspects plus proprement juridiques qu’il s’est agi d’aborder cet ouvrage. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, sur la suggestion très opportune de Fabrice D’ALMEIDA, plutôt que Les Deux cents ans des Principes de la philosophie du droit de Hegel qui était le titre du colloque, le volume s’intitule Hegel et le droit.
Ensuite, il importait au plus haut point pour moi que la perspective ne relève pas de la seule histoire de la philosophie. C’est la raison pour laquelle, bien que plusieurs des contributeurs soient des spécialistes mondialement reconnus de la philosophie de Hegel (ce qui assure de la solidité et de la rigueur du propos sous l’aspect de l’exégèse hégélienne), la composition de l’ouvrage est thématique et non exégétique : l’objectif est de mettre en lumière l’originalité et la fécondité de la philosophie de Hegel pour penser ce qu’est le droit, l’État, les rapports du social au politique, etc. – bref, éclairer des enjeux dont la contemporanéité appelle la compréhension – et non pas seulement de satisfaire à des exigences relevant de la simple érudition ou d’un geste consistant à exhumer des archives comme de vieilles choses – ce qui n’est jamais une manière philosophique d’aborder un texte !
La recherche hégélienne est internationale, et s’il est vrai que les dernières décennies ont vu advenir ce que l’on a désigné comme un « Hegel Revival » outre-Atlantique, ce regain d’intérêt pour la philosophie hégélienne en Amérique du Nord ne doit pas occulter la très grande vitalité des études hégéliennes sur le Vieux Continent (Royaume-Uni compris) et il me tenait à cœur, lors de l’organisation du colloque et dans la composition de l’ouvrage, que cette vitalité, en particulier s’agissant des aspects de la philosophie hégélienne se rapportant à la philosophie du droit, soit rendue manifeste.
De la même manière, la pensée de Hegel n’appartient pas qu’aux philosophes, et, dès lors, en outre, qu’il s’agissait ici de mesurer et de mettre en lumière ce que peut avoir de fécond sa philosophie du droit pour penser le droit, il était de la première importance à mes yeux de donner la parole à des juristes, ainsi que de permettre de retracer la filiation proprement juridique de Hegel, laquelle est sinueuse sans être pour autant inexistante, comme en témoignent notamment, parfois implicitement seulement, les travaux du publiciste internationaliste Erich KAUFMANN (au sujet duquel je renvoie à la contribution de Nathaniel BOYD), les écrits de certains des juristes critiques de la République de Weimar (Hermann HELLER), se situant dans le sillage de la théorie critique (Otto KIRCHHEIMER) ou, plus récemment, comme le montre Olivier JOUANJAN, des pensées telles que celles d’Ernst-Wolfgang BÖCKENFÖRDE.
Par-delà des questions d’ordre purement géographique ou disciplinaire, cette diversité d’approches qui implique celle des méthodes, des lectures et des problèmes que l’on pose au texte permet de mettre en lumière sa richesse, sa densité et sa résistance particulière : que l’on vienne de la philosophie ou du droit, la pensée hégélienne est déstabilisante, elle nous contraint à un pas de côté relativement à nos approches courantes des concepts et si, de la sorte, elle exige de nous de penser pour sortir de ce déséquilibre (car penser est toujours d’abord penser contre ce que l’on croit immédiatement savoir, et donc contre soi), la confrontation des modalités des déséquilibres s’avèrent particulièrement féconde, non seulement pour aborder cette philosophie difficile, mais aussi pour augmenter la compréhension de ce qui est en jeu avec elle, en l’occurrence s’agissant du droit.
La question est redoutable et il est fort difficile d’y répondre en peu de lignes : c’est l’un des objectifs des quelques deux cents pages et des contributions que réunit le volume (et en particulier celles que regroupe la première partie, précisément intitulée : « Qu’est-ce que le droit ? ») que d’apporter des éléments de réponse à cette question massive !
Je tenterai ici de « jouer le jeu » en tâchant d’esquisser quelques pistes permettant de saisir ce concept évidemment fondamental ici. On peut partir de la définition qu’en donne Hegel, au paragraphe 29 des Principes de la philosophie du droit : « Qu’un être-là en général soit l’être-là de la volonté libre, tel est le droit – Il est de ce fait, de manière générale, la liberté en tant qu’idée ». Si l’on s’efforce de « traduire » cela dans un langage plus courant, on peut dire que le droit, pour Hegel, renvoie à toutes les configurations que prend la volonté liberté en tant qu’elle s’objective, s’effectue et se donne une existence immédiate. Cela peut être dans une chose – par où s’élabore le concept (juridique) de propriété – ou dans des institutions que peuvent, par exemple, constituer des personnes liées affectivement – par où en vient à se penser le concept de famille –, etc. Une telle définition, ici générique, est très déstabilisante et déroutante, notamment parce qu’elle désigne comme étant du « droit » à la fois plus et moins de choses que ce que les juristes entendent couramment sous ce terme. En effet, d’un côté, elle implique que, dans le vocabulaire hégélien, il convient d’appeler « droit » des « réalités » qui excèdent largement ce qui est couramment désigné comme tel – ainsi Hegel peut-il parler du « droit du héros », du « droit du monde », etc. Mais, d’un autre côté, le concept hégélien de droit est aussi plus restrictif que celui de ce que Hegel appelle le « droit des juristes » : ce concept est d’emblée normatif, car si le concept de droit comprend toutes les configurations objectives de la liberté, il comprend seulement ce qui est une telle configuration de la liberté, ce qui conduit Hegel à écarter certaines déterminations juridiques positives comme étant du non-droit.
C’est aussi dire, à la fois, la grande précision et la grande plasticité de ce concept hégélien de droit. Or, précisément, cette double dimension de rigueur et de souplesse me semble être l’une des raisons de la grande fécondité de ce concept qui, par là et conjointement, nous permet de saisir sous le prisme du droit certains phénomènes contemporains qu’un auteur comme Benoît FRYDMAN a pu désigner comme des OJNI (des Objets Juridiques Non Identifiés) – je pense par exemple ici aux phénomènes de soft law –, mais aussi de disqualifier comme n’étant pas véritablement du droit des règles, pourtant formellement valides, mais qui relèvent de mécanisme de domination plutôt que d’avoir affaire avec la liberté – avec la « volonté libre » dirait Hegel.
Ainsi que je l’énonçais plus haut, le colloque de juin 2021 a connu un très franc succès, qui a à vrai dire largement dépassé les attentes et espoirs des organisateurs pour ce qui concerne l’importance de l’auditoire et l’intérêt qu’il a suscité dans le monde académique ! Nous n’avons pu également que nous réjouir de la très grande qualité des conférences qui ont été données, ainsi que du caractère nourri et stimulant des questions et discussions qui ont suivi les exposés.
En dépit de cette réussite, deux petits regrets peuvent être formulés. D’une part, s’agissant des considérations purement scientifiques, en dépit du fait que des aspects importants de la philosophie pénale et de la riche et fort intéressante conception hégélienne de la peine aient été abordés dans les contributions et lors des discussions, on peut regretter l’absence de développements qui lui soient thématiquement consacrés. Mais sans doute faut-il sur ce point accepter que l’exhaustivité et la stricte complétude sont en ces matières impossibles, qu’il n’est pas raisonnable d’y viser, ni sage d’en déplorer l’absence ! D’autre part, s’agissant de considérations relevant plus strictement de l’organisation matérielle, les conditions sanitaires encore très difficiles que nous avions collectivement à vivre au moment de la tenue du colloque nous ont contraints à opter pour une tenue intégralement à distance de la manifestation. Or, si cette modalité a présenté l’avantage, très loin d’être négligeable, que plusieurs chercheurs géographiquement très éloignés ont pu assister à ce colloque et, ainsi, enrichir les discussions par leur participation, choses qui n’auraient peut-être pas été matériellement possibles dans d’autres conditions, il faut aussi dire que cela nous a privés de ce qui fait aussi le sel des colloques, à savoir les conversations et poursuites passionnées des discussions permises par les espaces et temps d’échanges plus informels que sont les moments de convivialité constitués par les pauses et les repas partagés. Par ailleurs, il va de soi – et il ne faudrait pas l’oublier ! – que de même des enseignements en ligne ne sont pas pleinement de véritables cours, des colloques où chacun est seul dans une pièce et n’a accès aux autres que par écrans interposés ne sont en rien comparables aux conditions permises par la présence (physique) dans un lieu commun…
Mais, en dépit de ces deux points, le bilan de ce colloque est extrêmement positif, et je remercie une nouvelle fois vivement l’Institut Michel Villey et son directeur, Denis BARANGER, qui l’a rendu possible, tout comme je suis très reconnaissante à l’ensemble des participants, conférenciers comme membres du public, pour la richesse des discussions desquelles cette rencontre, même « distante », a pu être le lieu. C’est d’ailleurs ce bilan très positif du colloque qui m’a conduite à projeter puis à mener avec enthousiasme le travail de publication de cet ouvrage qui en est issu, volume que je remercie vivement les Éditions Panthéon-Assas d’avoir accueilli, et son équipe éditoriale d’avoir accompagné avec compétence et sérieux.
J’espère désormais que, à l’instar du colloque, cet ouvrage pourra participer à convaincre de l’intérêt, de la vigueur et de la vitalité de la philosophie hégélienne pour penser le droit – et, par là, des aspects fondamentaux du monde politique contemporain !
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