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Cet événement, co-organisé par l’Association Ip Assas et l’IEJ Pierre Raynaud, consiste en une « Moot-Court » très particulière, au cours de laquelle des étudiants et des professionnels plaident de conserve sur un cas réel avant qu’une Cour, composée de magistrats et d’avocats, délibère avec le public. Ce que les Américains appellent un « pre-trial », puisque l’affaire n’a pas encore été jugée en appel, dans la réalité.
Cette année, l'audience était présidée par François Ancel (Président au tribunal de grande instance de Paris), entouré de trois conseillers: Maître Laurent Martinet, ancien -vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats Paris, directeur délégué de l’EFB, associé Dechert, et deux Alumni de notre Université, avocats, Maîtres Thomas Defaux, Baker-Mackenzie, et Océane Millon de la Verteville, Gide.
L’affaire portait sur l’appel interjeté par une société gérant une pizzeria parisienne à l’encontre d’un jugement rendu le 15 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Paris, dans une affaire l’opposant à La Cicciolina, ancienne actrice de films pornographiques et député italienne, qui contestait l’utilisation sans autorisation par ce restaurant de son pseudonyme et de son image.
En première instance, le Tribunal avait partiellement accueilli les demandes de l’actrice en reconnaissant ses préjudices matériel et moral. Outre des dommages et intérêts, le tribunal avait imposé la suppression d’une fresque dans les toilettes du restaurant, ainsi que la suppression de toute photographie ou dessin s’y référant sur les réseaux sociaux ; il n’avait toutefois pas imposé l’arrêt de l’utilisation du pseudonyme « Cicciolina » comme enseigne pour la pizzeria.
Dans leurs plaidoiries, les deux avocats de la société (étudiants de Master) ont tour à tour essayé de convaincre la Cour et le public que la condamnation prononcée par le tribunal en première instance n’était pas fondée. Le premier avocat de l’appelante, Thilini Katukurunda, s’est tout abord attaquée à la condamnation prononcée au titre de l’atteinte portée au droit de l’actrice sur son pseudonyme. Son argumentation remontait à la base de la condamnation : l’existence d’un droit sur ce prétendu pseudonyme « Cicciolina » n’étant pas établi par l’actrice, la Cour ne pouvait condamner le restaurant pour une atteinte qu’il y aurait porté. En effet, après avoir rappelé la définition donnée par la jurisprudence de la notion de pseudonyme, l’avocat de l’appelant a tenté de démontrer point par point que le cas d’espèce ne répondait pas à cette définition. Ayant utilisé ce pseudonyme sans but de dissimuler sa véritable identité et n’ayant pas respecté le critère de spécialité, l’actrice ne pouvait se prévaloir de l'existence de ce pseudonyme et par conséquent d’un droit quelconque sur celui-ci.
Le deuxième avocat de l’appelante, Alexandre Paichadze, a quant à lui construit sa plaidoirie en deux temps. En premier lieu, il s’est attaché à démontrer que l’atteinte au droit à l’image de l’actrice consacré par le tribunal en première instance n’était en réalité par caractérisée. La représentation de la Cicciolina dans les toilettes du restaurant n’était pas faite dans un but commercial mais dans le but de rendre un hommage à ce personnage de la scène italienne des années 80. La recherche d’un juste équilibre entre le droit à l’image et la liberté d’expression aurait par conséquent dû faire pencher la balance en faveur de la pizzeria et non de l’actrice. En second lieu, il a sou- tenu que dans l'hypothèse où la Cour reconnaitrait l’existence du pseudonyme de La Cicciolina, cette utilisation par le restaurant n’en était pas pour autant abusive. Le risque de confusion ou le caractère parasitaire de l’utilisation n’était en effet pas caractérisé.
A la suite de ces plaidoiries, la parole a été donnée à l’avocat de l’intimée, Maître Ines Tribouillet (cabinet Taylor-Wessing), qui a également formé un appel incident. Elle conteste en effet le défaut d’interdiction d’exploitation du nom Cicciolina par le restaurant et les sommes insuffisantes, accordées par le tribunal, au titre des dommages et intérêts.
Concernant les dommages et intérêts, l’avocat de l’intimé a en premier lieu démontré que l’actrice détenait bien un droit sur son pseudonyme et que le restaurant y avait porté atteinte. Se servant de la même définition jurisprudentielle de la notion que son contradicteur, elle a établi que l’usage de ce pseudonyme avait bien était fait de manière prolongée et notoire. La réalisation de ces deux conditions accordait alors un droit sur ce pseudonyme, peu importe les supposées conditions de dissimulation de l’identité et de spécialité. Le droit sur le pseudonyme étant établi, l’atteinte serait évidente. En effet il serait facile pour le public de penser que l’utilisation du nom de l’actrice comme enseigne du restaurant avait été faite avec l’accord de celle-ci et qu’elle avait donc un lien quelconque avec le restaurant. Il en allait de même pour son image. Ce risque était d’autant plus fort que le restaurant avait basé une grande partie de sa communication commerciale sur la peinture de l’actrice présente dans les toilettes, en faisant de fait un usage mercantile. Le risque de confusion et le caractère parasitaire de l’utilisation étaient donc bien caractérisés.
L’actrice souffrait donc d’un préjudice matériel de manque à gagner puis- qu’elle aurait pu monnayer l’utilisation de son nom et de son image. Elle souffrait aussi d’un préjudice moral en raison du risque d’association de sa per- sonne avec le restaurant et de banalisation de son pseudonyme. Ce préjudice serait renforcé par le fait que les conditions de l’exploitation de l’image de l’actrice, dans les toilettes du restaurant, étaient particulièrement dégradantes. Maître Ines Tribouillet a alors contesté les montants accordés au titre de ces préjudices, et tout particulièrement en ce qui concerne le dommage moral, sanctionné par 1€ de dommages et intérêts symboliques. Ce montant laisserait en effet penser que le tribunal n’avait pas uniquement en tête des considérations juridiques quand il a statué sur l’importance de l’atteinte à l’honneur subie par cette ancienne actrice de films pornographiques. L’avocat a en dernier lieu plaidé pour l’interdiction de l’exploitation du nom Cicciolina comme enseigne par le restaurant.
Le Professeur Gautier est ensuite à son tour intervenu à l’audience, en qualité d’avocat général. En ce qui concerne l’atteinte portée au pseudonyme, le ministère public s’est prononcé en faveur d’une requalification du pseudonyme en surnom, ce qui n’aurait par ailleurs pas de conséquence sur le régime à appliquer par la suite. En ce qui concerne le droit à l’image, l’avocat général a considéré qu’on devait se placer d’un point de vue patrimonial, similaire au right of publicity à l’américaine. Il s’est ensuite opposé frontalement à la suggestion faite par le second avocat de l’appelant d’une nécessité de réaliser une balance des intérêts entre le droit à l’image et la liberté d’expression. Le choix à faire ici est celui du syllogisme. Il s’est enfin prononcé de manière forte en faveur du prononcé de l’interdiction d’exploitation du nom. Cela correspondrait mieux à notre droit qui est davantage tourné vers une réparation en nature, plus dissuasive qu’une réparation par équivalent monétaire.
La fin des réquisitions de l’avocat général marquait alors la fin de l'audience : le temps était au délibéré. Après avoir fait sortir les avocats, le Président s’est tourné vers le public, venu très nombreux pour l’occasion, afin de débattre et de construire l’arrêt avec lui. Après avoir requalifié le pseudonyme de l’actrice en surnom, il a été décidé que l’atteinte était bien caractérisée. La Cour a toutefois exprimé quelques regrets sur le manque de précisions quant au fondement de cette action. Etait-ce une action en parasitisme (responsabilité civile), ou basée sur un droit de propriété ? Concernant le droit à l’image, le débat s’est principalement concentré sur la balance des intérêts. La Cour, se rangeant finalement à l’avis du public, a accepté de considérer qu’il serait préférable de recourir au syllogisme, acceptant ainsi la vision de l’avocat général. Le débat s’est ensuite porté sur les sommes accordées au titre des dommages et intérêts. Il a été décidé de maintenir la somme attribuée au titre du dommage matériel et de revaloriser largement celle accordée au titre du préjudice moral. Le public et la Cour se sont enfin prononcés de manière unanime en faveur de l’interdiction de l’utilisation du nom Cicciolina par le restaurant, allant jusqu’à assortir cette interdiction d’une astreinte de 1000€ par jour de retard passé les 3 mois.
Si les avocats de l’appelant n’ont donc finalement pas réussi à convaincre du bien-fondé de leur argumentation, la Cour a reconnu et admiré leur évidente maîtrise de l’art oratoire, appliqué à leur culture juridique, accumulée pendant cinq années à l’Université.
Clarisse Dréan, étudiante de la promotion Sibylle