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L’intelligence artificielle au service de la Justice : vision et ambitions françaises

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L’intelligence artificielle au service de la Justice : vision et ambitions françaises
L'université a réuni des experts du monde juridique et technologique autour d'une conférence sur les enjeux qui lient l'IA au droit

Le mardi 11 février 2025, l’Université Paris-Panthéon-Assas, en partenariat avec la Chaire Concurrence et Économie Numérique et Paris Place de Droit, organisait une conférence dédiée aux impacts et aux perspectives de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine du droit et de la justice. Cet événement s’inscrivait dans le prolongement du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, porté par la France à l’échelle internationale, et réunissait des experts issus du monde juridique, institutionnel et technologique afin de réfléchir aux enjeux majeurs soulevés par l’IA dans l’exercice et la régulation du droit.

Une introduction plaçant la justice au cœur des évolutions technologiques

La conférence s’est ouverte sur les interventions de Bruno DEFFAINS, directeur de la Chaire Concurrence et Économie Numérique de la Fondation Panthéon-Assas et de Denis MUSSON pour Paris Place de Droit. Tous trois ont rappelé combien la montée en puissance de l’intelligence artificielle bouleverse les cadres traditionnels du droit et de la justice, en transformant profondément les pratiques professionnelles et en posant de nouveaux défis en matière de régulation.

Patrick SAYER, président du Tribunal des Activités Économiques de Paris, a ensuite introduit officiellement la conférence en insistant sur le rôle stratégique que l’IA est amenée à jouer dans l’organisation judiciaire. Si elle permet une automatisation de certaines tâches et une amélioration du traitement des dossiers, elle suscite aussi des interrogations fondamentales sur l’éthique, la transparence et l’impartialité des décisions judiciaires. Il a ainsi souligné que la réflexion sur l’IA et le droit ne peut se limiter à une approche purement technique : elle doit aussi s’inscrire dans une démarche plus large de préservation des principes fondamentaux qui régissent l’État de droit.

Encadrer l’intelligence artificielle : vers une régulation responsable

La première table ronde, animée par Pierre BERLIOZ, s’est attachée à analyser les cadres réglementaires et éthiques à même d’encadrer l’essor de l’intelligence artificielle dans la justice. Si l’IA constitue un levier puissant pour moderniser le droit, sa mise en œuvre soulève des enjeux majeurs en termes de gouvernance, de souveraineté et de protection des libertés fondamentales.

Yann GUTHMANN, chef du service de l’économie numérique à l’Autorité de la concurrence, a ouvert les débats en mettant en lumière les tensions qui existent entre l’innovation technologique et la régulation concurrentielle. Il a notamment évoqué la nécessité d’un équilibre entre, d’un côté, l’émergence de nouvelles solutions d’intelligence artificielle et, de l’autre, la préservation d’une saine concurrence sur le marché. Le risque d’une concentration excessive des acteurs du numérique a été pointé, à l’instar des grandes plateformes qui cherchent à imposer leurs standards en matière d’analyse et de traitement automatisé auquel le secteur du droit n’échappe pas.

Nathalie VANDYSTADT, du Bureau de la Commission européenne sur l’IA, a poursuivi cette réflexion en exposant les avancées du cadre réglementaire européen. Elle a souligné que la stratégie européenne repose sur un principe de proportionnalité, visant à encadrer strictement les usages de l’IA qui présentent un risque pour les droits fondamentaux tout en laissant une marge d’innovation pour les autres applications. Toutefois, elle a admis que l’Europe reste confrontée à une difficulté majeure : celle de faire face aux géants du numérique, principalement américains et chinois, dont la puissance d’innovation et les ressources financières leur donnent des capacités d’action considérables face aux acteurs européens.

Arnaud LATIL, chercheur au SCAI (Sorbonne Université), a quant à lui insisté sur l’importance de la régulation des données, qui constitue l’un des nerfs de la guerre dans le développement de l’IA juridique. Il a rappelé que les algorithmes dépendent de la qualité des données qui leur sont fournies et que leur efficacité ne peut être garantie qu’à condition de disposer d’une gouvernance rigoureuse en matière d’accès et de sécurisation des données judiciaires.

Enfin, Victor FABRE, représentant de Google, a apporté la vision des entreprises du numérique, en défendant une approche pragmatique et collaborative entre le secteur privé et les régulateurs. Selon lui, l’enjeu n’est pas tant d’entraver l’innovation par des règles trop rigides que de trouver des solutions garantissant une utilisation éthique et responsable de l’IA dans tous les secteurs, y compris celui du droit.

Un bouleversement des pratiques juridiques et judiciaires

La seconde table ronde, animée par Stéphane BALLER, a permis de mettre en lumière les transformations majeures que l’IA entraîne au sein des professions juridiques.

Pierre HOFFMAN, bâtonnier de Paris, a ouvert la discussion en insistant sur le fait que l’IA représente à la fois une opportunité et une menace pour les avocats. D’un côté, elle peut considérablement améliorer l’efficacité des cabinets en automatisant certaines tâches comme la recherche documentaire et l’analyse jurisprudentielle. De l’autre, elle pose un défi en termes d’adaptation et d’éthique professionnelle, notamment lorsqu’il s’agit de déléguer à des algorithmes une partie du travail juridique. Le barreau de Paris a fait des efforts importants pour soutenir la mise à niveau de l’ensemble de la profession, à commencer par les plus petites structures.

Sumi SAINT-AUGUSTE, d’Open Law, a poursuivi en présentant plusieurs initiatives visant à intégrer l’IA dans la pratique juridique. Elle a notamment évoqué les plateformes collaboratives permettant une meilleure accessibilité aux données juridiques et l’essor des outils d’aide à la rédaction automatisée, qui changent profondément la manière dont les juristes conçoivent leurs argumentaires.

Edouard ROTTIER, magistrat à la Cour de Cassation, a pour sa part mis en avant l’importance de l’open data judiciaire. Il a insisté sur le fait que la numérisation et l’ouverture des décisions de justice constituent un levier essentiel pour garantir une meilleure transparence et améliorer la qualité des décisions prises par les magistrats.

Enfin, Yannick MÉNECEUR, de l’Inspection Générale de la Justice, a pointé les défis que ces transformations posent à l’organisation judiciaire. Il a notamment souligné la nécessité de préserver les droits fondamentaux et de garantir un accès équitable à la justice pour tous, en veillant à ce que les outils numériques ne creusent pas davantage les inégalités entre justiciables.

Vers une intégration maîtrisée de l’IA dans la justice

En clôture de cette conférence, Bruno DEFFAINS a synthétisé les principaux enseignements des discussions, mettant en avant les défis à relever pour une intégration réussie de l’IA dans le monde du droit. Si l’intelligence artificielle offre des perspectives prometteuses en matière d’efficience et d’accessibilité à la justice, elle ne peut se déployer sans un encadrement juridique rigoureux et une réflexion approfondie sur ses implications éthiques. L’événement a ainsi mis en lumière la nécessité d’un dialogue constant entre régulateurs, professionnels du droit et entreprises technologiques, afin de garantir que l’IA serve véritablement la justice, sans en altérer les principes fondamentaux. En ce sens, cette conférence marque une étape clé dans la réflexion collective sur l’avenir du droit à l’ère numérique, et ouvre la voie à de nouvelles initiatives visant à concilier innovation et respect des valeurs juridiques.