- Université
- Formations
- Recherche
- International
- Campus
La première matinée des 6e JPI était consacrée à deux procédures ayant largement occupé la Cour pénale internationale (CPI) en 2020, et étroitement imbriquées : le review process engagé à l’initiative de la Cour, et l’élection du nouveau procureur, le mandat de Fatou BENSOUDA arrivant à échéance le 15 juin 2021.
Les propos introductifs prononcés par Chile EBOE-OSUJI, président de la CPI, ont d’abord rappelé avec puissance et efficacité l’importance toute particulière que la CPI a pris dans le paysage des juridictions pénales internationales ces dernières années. Soulignant que le système dans lequel agit la CPI, le Statut de Rome, est une construction humaine et donc perfectible, il a rappelé que c’est aussi à ce titre, et en réponse aux critiques formulées, que la CPI a souhaité s’engager, volontairement, dans cette procédure lourde, mais nécessaire. La Cour, soucieuse de l’efficacité de son mandat, s’inscrit ici dans une démarche d’amélioration continue de ses processus et de son fonctionnement, et les recommandations reçues seront prises en compte tant qu’elles ne mettent pas en péril l’indépendance de la CPI, pierre angulaire de son ethos. Ainsi, en dépit de la problématique du statut dual d’organisation internationale et de juridiction, la CPI ne saurait être « reasonably guided and shaped » par les États parties sans que cela n’affecte l’indépendance des procédures judiciaires. Dans une période marquée par un large renouvellement de ses acteurs principaux, avec l’élection du nouveau procureur, mais également le remplacement d’un tiers des juges en décembre 2019 et l’élection d’un nouveau président début mars 2020, il est essentiel de ne pas perdre de vue l’objectif fondamental de la Cour, à savoir la cause de la Justice, force fondamentale, en luttant contre l’impunité des crimes tombant sous son mandat : crime contre l’humanité, crime de génocide, crime de guerre et crime d’agression.
Le processus d’examen du fonctionnement de la Cour a débuté en décembre 2019. Neuf experts indépendants ont été missionnés afin de formuler des recommandations concrètes, réalistes et susceptibles d’être mises en pratique. Nicolas GUILLOU, juge aux chambres spécialisées pour le Kosovo et membre de ce groupe, a détaillé les modalités de mise en œuvre de ce lourd processus, et rappelé les grandes orientations du travail de ce groupe. Trois grands thèmes avaient été préalablement identifiés : gouvernance, judiciaire, et enfin enquêtes et poursuites. M. GUILLOU a souligné que le groupe avait suivi trois grands principes : indépendance, neutralité et vérité. Dans un cadre contraint, juridiquement, budgétairement et temporellement parlant, les experts ont appliqué une méthodologie pluridisciplinaire, comparative et globale, à l’image des principes guidant l’action de la Cour. Les 384 recommandations formulées visent donc à proposer un programme de travail pour les prochaines années, et surtout à susciter un débat multipartite, avec la CPI, évidemment, mais aussi la société civile et tous les acteurs gravitant autour de la Cour en général. Celles-ci s’articulent autour de trois axes : rationnaliser, innover et responsabiliser. Les experts ont ainsi formulé des recommandations variées, s’inscrivant aussi bien dans le domaine de la gestion des ressources humaines que sur le plan procédural ou de la gouvernance.
Le panel de discutants a unanimement souligné l’utilité de cet audit, démarche à la fois bénéfique, originale et risquée. La CPI a su se saisir d’un contexte de remises en cause variées pour le transformer en opportunité de réfléchir activement à son fonctionnement. L’amélioration continue de ses processus est un objectif stratégique, et les propositions formulées sont concrètes, ce qui est crucial, mais prennent-elles toujours suffisamment en compte la spécificité de chaque situation ? Rien n’est moins sûr. La question de la création d’un Bureau de la Défense pour garantir les droits des accusés a été débattue et M. GUILLOU a souligné le surcoût conséquent que représentait l’établissement d’une telle structure administrative. Or, les changements proposés doivent venir renforcer le mandat de la CPI, et non pas l’affaiblir ou le diluer. Aujourd’hui, la Cour entame un nouveau chapitre de ce review process en réfléchissant au calendrier et aux modalités de mise en œuvre de ces propositions. Le défi majeur pour la CPI sera de gérer de nouvelles affaires tout en essayant de répondre le plus rapidement possible aux recommandations et ce, dans un cadre budgétaire contraint.
Trois intervenants sont ensuite revenus sur l’élection du nouveau procureur. Elle s'est en effet révélée particulièrement chaotique. 144 candidatures ont été reçues, et à la surprise des observateurs, le Comité a finalement écarté nombre de « favoris » et retenu quatre personnalités qui ne sont issues ni du Bureau actuel du Procureur ni d'autres juridictions pénales internationales. Mais, faute de consensus sur l'un des quatre candidats retenus, la procédure a été « réouverte » à quelques semaines de l'Assemblée des États parties (session initiale en décembre à la Haye puis à New-York, puis reprise en février 2021), sous l'ombre du mouvement #metoo qui semble avoir contribué à la disqualification de certains candidats. Faute de consensus, il a finalement fallu un vote à l'Assemblée pour départager les prétendants. Et c'est l'avocat britannique Karim KHAN, jadis au Bureau du procureur du TPIY, qui a remporté la majorité des suffrages. Comme elle est autorisée à le faire, l'Assemblée des États parties a choisi un candidat qui n'était pas dans la « short list » du Comité d'élection. Il s'est notamment imposé contre Fergal Gaynor (Irlande). Après le poste de greffier et l'élection d'un juge, les Britanniques placent donc un troisième ressortissant à un poste clef de la Cour. Karim KHAN, 50 ans, a été impliqué dans plusieurs équipe de Défense devant la Cour pénale internationale avant d'être nommé chef de l'Équipe d'enquêteurs chargée de recueillir, conserver et stocker des éléments de preuve d'actes susceptibles de constituer des crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes de génocide perpétrés à l'EIIL (Daech) en Irak (UNITAD, Nations Unies).
Sans s’appesantir sur le caractère exceptionnel de la situation sanitaire, qui conduit à ne pas avoir de procureur élu moins de six mois avant le terme du mandat de l’actuelle procureure, William SCHABAS, professeur de droit à l’université du Québec à Montréal, a souligné que la fiche de poste pour le nouveau procureur montre que l’Assemblée des États parties (AEP) souhaite élire un juriste extrêmement solide sur les éléments techniques. Certes, l’historique et les décisions récentes peuvent pousser à garantir la solidité juridique des dossiers défendus par le procureur pour consolider sa crédibilité judiciaire. Mais son rôle ne se limite pas à un simple portage technique des dossiers devant les juges de la CPI. Il a donc déploré que rien dans les dossiers des candidats ne montre explicitement leur capacité à prendre les décisions importantes et décisives qui incombent au procureur. Ce rôle est pourtant tout aussi important et stratégique que le premier. M. SCHABAS s’est inquiété, en filigrane, du rôle du procureur tel que ces filtres de l’AEP le projettent : le choix du Procureur déterminant également le statut de la CPI à moyen terme, en 2030, celle-ci sera-t-elle une institution dynamique ou médiocre ?
Joël HUBRECHT, responsable du programme JPI de l’Institut des hautes études sur la justice, est revenu plus en détails sur la chronologie mouvementée de l’élection du nouveau procureur, qui devrait connaître un terme le 8 février 2021, lors de la seconde reprise de la 19e AEP, la procédure ayant été ouverte le 2 août 2019, avec la publication du premier appel à candidature, prolongé par la suite six fois. Classiquement, un comité de recherche des candidats a été constitué, qui a été, pour la première fois, renforcé par un groupe d’experts-praticiens, devant l’aider en tirant et évaluant les candidatures. Autre nouveauté, les auditions des candidats sélectionnés ont été publiques, et tant les États parties que les représentants de la société civile ont pu interroger les candidats. Dans un contexte global, les ONG ont souhaité qu’une procédure de vetting des candidats soit mise en place, au regard des effets potentiellement dévastateurs pour la CPI qu’auraient des accusations de harcèlement à l’encontre du procureur formulées après son élection. Faute de temps, de moyens, de consensus aussi, la procédure d’habilitation du personnel non élu à la Cour a finalement été appliquée aux candidats. Indéniablement, le processus électoral a été marqué par une volonté générale de renouvellement, incarné surtout par la place et le rôle qu’a joué le rapport du groupe d’experts indépendants. La procédure de candidature a été renouvelée à de multiples reprises, marquant l’attachement de l’AEP à atteindre cet objectif de consensus global inscrit dans le Statut de Rome, qui demeure primordial aux yeux des États parties.
Enfin, Amélie BECQUART, magistrate, chargée de mission Justice pénale internationale au ministère des Affaires étrangères, a rappelé que la France était très attachée à la CPI, et plus généralement à la lutte contre l’impunité. Pour ces raisons, il était important de réaffirmer le soutien des États parties à la CPI, dans le contexte des sanctions américaines à l’encontre de la procureure. Elle a ensuite détaillé les critères importants aux yeux de la France : expérience significative de procureur au sein d’une juridiction nationale, maîtrise des deux langues de travail, et des deux systèmes juridiques de common law et de droit civil, expérience internationale, aptitude avérée au management, qualités de communication, absence de risque de conflits d’intérêt, et enfin enjeu de nationalité, pour assurer un équilibre dans la représentation des origines géographiques. L’objectif de ces critères est d’assurer la visibilité et la crédibilité de la CPI sur la scène internationale, tout en assurant une gestion efficace et experte sur tous les aspects juridiques et organisationnels, respectant les spécificités d’un système juridique mixte.
On le comprend donc aisément à la lecture de ces échanges, l’enjeu autour de l’élection d’un nouveau procureur s’étend au-delà de la question de son expertise juridique, à celle de sa capacité à incarner la CPI dans tous ses aspects, politiques et administratifs en particulier. Indéniablement, la durée du mandat (9 ans) ainsi que cette ampleur opérationnelle des fonctions, expliquent que les Etats parties ne limitent pas leur regard et que les appels à candidatures aient été relancés. Les pressions ayant émaillé notamment les dernières années du mandat de Fatou BENSOUDA ont également rappelé avec force que le titulaire du poste de Procureur devait être une personnalité capable d’allier diplomatie, pugnacité et persévérance. A ce titre, l’appel à la vigilance du président de la CPI, M. Chile EBOE-OSUJI, réitère l’importance d’un soutien institutionnel, étatique et citoyen à cette institution encore jeune pour que celle-ci accomplisse sa mission de Justice internationale : « Ne tenez pas la Cour pour acquise. Nous ne devons ménager aucun effort aussi bien pour la conserver que pour la faire mieux fonctionner parce que si nous la perdons, nous ne la retrouverons peut-être pas, en tout cas pas de sitôt. »