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Madame Alice Pezard, ancien président de chambre à la Cour d'appel de Paris, aujourd'hui avocat à la Cour, présidait la Cour d'appel en formation correctionnelle, devant laquelle s'est déroulé ce procès (réel, jugé dans quelques jours !) Elle avait pour conseillers d'un soir Elise Weisselberg (cabinet Weisselberg) et Julien Canlorbe (Cabinet de Gaulle Fleurance et Associés), tous deux anciens de l'Université. Le Professeur Gautier a pour sa part endossé le rôle et la robe de l'avocat général, dont le réquisitoire n'était favorable à l'appelant que pour moitié.
Le procès portait sur les propos tenus par le parlementaire Henri Guaino entre le 22 et 28 mars 2013, à propos de la décision de mise en examen de Nicolas Sarkozy du chef d'abus de faiblesse dans l'affaire Bettencourt par un collège de magistrats d'instruction, dont le juge Gentil. Il répétait ainsi sur plusieurs antennes qu'il jugeait la « qualification grotesque », l'accusation « insupportable », « intolérable », la décision « indigne » et « irresponsable » et estimait qu'elle pourrait être « risible » si elle n'avait entrainé une « salissure de la France et de la République elle-même ».
Le 9 avril 2014, lui était délivré par acte d'huissier une citation devant le tribunal correctionnel de Paris, à l'initiative du Procureur de la république. Par jugement du 27 novembre 2014, le tribunal correctionnel déclarait Jean-Michel Gentil recevable en sa constitution de partie civile mais relaxait Henri Guaino des chefs d'outrage à magistrat (art. 434-24 du code pénal) et de discrédit porté sur la justice (art. 434-25 du code pénal).
Se sont affrontés au cours de brillantes plaidoiries Côme-Gabriel Chazal, ancien président d'IP Assas, aujourd'hui avocat du cabinet Anne Boissard et deux étudiantes de la promotion Picasso - Aux sources du droit, Master de Propriété littéraire, artistique et Industrielle, Laura Cohen et Charlotte Noël.
Maître Chazal, représentant Jean-Michel Gentil, a commencé par caractériser le délit, appuyant sur la gravité des propos tenus et leur disproportion, la décision critiquée n'entamant en aucun cas la présomption d'innocence. Dans un deuxième temps, il a insisté sur l'absence de justification de telles attaques. Dans cette optique, il a soutenu d'une part que, puisque l'ancien président de la république redevenait un justiciable comme les autres à la fin de son mandat, il n'y avait pas d'atteinte à la fonction présidentielle. D'autre part il a énoncé, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme Morice c/. France du 9 décembre 2013, et sur le principe de séparation des pouvoirs, que la liberté d'expression des politiques trouve pour limite la protection des juges, citant la Cour en ces termes : « l'action des magistrats et des procureurs a besoin de la confiance des citoyens pour prospérer. Dans cette perspective, il peut s'avérer nécessaire de les protéger d'attaques destructrices dénuées de fondement sérieux, d'autant plus que le devoir de réserve interdit aux magistrats visés de réagir ». Il s'en est tenu aux demandes initiales du juge Gentil quant aux réparations, requérant des dommages et intérêts à hauteur de 100.000 € pour l'outrage à magistrat et le discrédit porté à la justice.
« L'avocat général Gautier » n'a pas retenu le grief d'outrage à magistrat (car un propos outrageant tenu en public relève du droit de la presse, pas du code pénal), mais uniquement celui de discrédit. Son raisonnement est le suivant : la liberté d'expression est très protégée par la Cour européenne, mais celle-ci y a mis des limites, lorsqu'on s'attaque aux magistrats ; celle des Politiques est aussi importante, mais lorsqu'ils s'expriment dans une perspective d'intérêt général, avec le sang-froid qu'on peut attendre de nos élus ; les principes de délicatesse, de proportion des critiques, spécialement quand on est interviewé par les médias sur des affaires dont ils raffolent, les oblige en revanche à montrer l'exemple, ce qui n'a pas été ici le cas (propos trop vifs, réitérés auprès de plusieurs organes, de sorte qu'il n'y a même pas le motif de l'émotion, à supposer que celle-ci puis être admise). Il n'a cependant réclamé que 3.000 € d'amende (sur la peine de six mois d'emprisonnement et de 7.500 € prévue à l'article 434-25 du code pénal), sollicitant qu'elle soit en outre assortie d'un sursis, comme c'est également possible pour les amendes, pas seulement pour la prison (art. 132-31 c. pén.).
La parole fut ensuite donnée aux avocats du prévenu, occasion pour elles de faire leurs preuves. Laura Cohen et Charlotte Noël ont à tour de rôle contesté la constitution des infractions. Charlotte a commencé par remettre l'outrage en question, s'appuyant sur le principe de légalité des délits et des peines et d'interprétation stricte de la loi pénale, mis en dangers par un texte trop vague et sur l'étendue des pouvoirs du juge d'instruction justifiant que la critique envers celui-ci reste ouverte, citant Balzac. Concernant le discrédit, Laura a fait valoir qu'il n'y avait pas ici « d'atteinte à l'autorité de la justice » dans son entier, comme requis par la jurisprudence. Dans un deuxième temps, c'est la liberté d'expression qui fut mise en avant, de manière générale et plus particulièrement celle des Politiques, qui plus est dans le cadre de ce qui pouvait être considéré comme un débat d'intérêt général. Tout au long de leur plaidoirie, la relation privilégiée de Monsieur Guaino et de Nicolas Sarkozy fut également rappelée, afin de justifier la réaction emportée de ce personnage politique. Ce faisant, nos futurs avocats appelaient la Cour à confirmer la décision de première instance.
Le public, invité par la Cour à participer au délibéré s'est interrogé sur la légitimité d'un parlementaire à critiquer le pouvoir judiciaire. Un débat est né sur la clarté du texte de l'article 434-24 du code pénal, d'un côté l'on proposait de le soumettre à un contrôle de conventionalité - réalisable par les juges du fond - plutôt que de s'embarrasser d'un contrôle de constitutionnalité, tandis que de l'autre, on contestait le défaut de clarté de ce texte en rappelant que les juges ne sont pas que de simples machines à appliquer les textes mais bien la bouche de la loi. La Cour, après avoir écouté les interventions du public, a mis l'affaire en délibéré.
Puis la présidente de la Cour, Alice Pezard, a rendu l'arrêt « en audience publique»: rejet de la qualification d'outrage à magistrat, mais qualification du discrédit jeté sur la justice, entrainant la condamnation de monsieur Guaino au paiement d'une amende d'un euro symbolique.
Exceptionnellement - et parce que la Master Class est en avance sur son temps - la décision de la Cour fut prononcée avec une opinion dissidente. En effet, maître Weisselberg souhaitait une relaxe pleine et entière. Madame Pezard, qui a convaincu maître Canlorbe, au départ lui aussi réservé, a estimé que les juges et la justice étaient la cible de suffisamment d'attaques pour tenter de mettre un coup d'arrêt de principe, dans une affaire exemplaire.
Affaire à suivre lors du procès réel :
Deux audiences relais prévues les 9 avril et 4 juin 2015
Audience pour plaidoirie prévue le 3 septembre 2015
Encore toutes nos félicitations aux étudiants du master de Propriété littéraire, artistique et Industrielle, à IP Assas et tous nos remerciements au professeur Pierre-Yves Gautier pour son engagement.