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La réserve héréditaire est l’un des principes fondateurs du droit des successions ; il se situe entre le droit d’hériter et le droit de disposer.
Nicole BELLOUBET, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a confié à Cécile PÉRÈS, professeur de droit privé de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, ainsi qu’à Maître Philippe POTENTIER, notaire à Louviers, président du 108ème Congrès des notaires de France, la direction d’un groupe de travail sur la réserve héréditaire et la réalisation d’un rapport officiel.
Le rapport du groupe de travail sur « La réserve héréditaire » a été remis à la garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 13 décembre 2019. Il dresse un état des lieux et permet d'envisager de possibles évolutions du droit positif. Il comprend 54 propositions.
Des enseignants-chercheurs de l’université Paris 2 Panthéon-Assas ont participé à cette réflexion collective, illustrant la contribution de membres de l'université à des projets officiels de réforme législative.
À l’occasion de la publication du rapport sur la réserve héréditaire, Cécile PÉRÈS, et Sophie GAUDEMET, professeurs de droit privé à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, co-directeur et membre du groupe de travail, répondent à quelques questions.
Sophie GAUDEMET et Cécile PÉRÈS - Le souhait émanait de la Chancellerie d’une réflexion d’ensemble sur la réserve héréditaire. Les raisons en étaient diverses, entre événements d’actualité faits de successions remarquées, décisions récentes de la Cour de cassation déniant en principe le caractère d’ordre public international de la réserve, réflexions en cours sur la philanthropie, et plus fondamentalement et largement sans doute questions parfois posées sur les fondements contemporains de cette part de la succession que la loi réserve aux plus proches héritiers du défunt.
Cécile PÉRÈS, professeur, et Philippe POTENTIER, notaire, ont été chargés de cette réflexion fin mars 2019 par une lettre de mission. Le choix d’un groupe de travail assez resserré a été fait, dont faisait partie Sophie GAUDEMET, et d’une large ouverture des réflexions par un certain nombre d’auditions. Le groupe de travail comptait également parmi ses membres Nathalie BAILLON-WIRTZ (maître de conférences à l’université de Reims), Sara GODECHOT-PATRIS (professeur à l’université de Paris-Est Créteil) et Marc NICOD (professeur à l’université de Toulouse).
C’est, ce faisant, une réflexion véritablement collective qui a été menée. Ce travail d’équipe fut une très belle expérience, intellectuelle et humaine.
Sophie GAUDEMET et Cécile PÉRÈS - La réserve héréditaire a toujours été controversée et elle le demeure aujourd’hui, entre partisans et adversaires du libéralisme économique en matière familiale. La quotité disponible et la réserve héréditaire expriment en effet une tension, mais aussi un compromis ou un point d’équilibre entre, d’un côté, la liberté individuelle - amarrée à la propriété privée – et, de l’autre, la famille - cellule de solidarités sociales. La question est régulièrement posée de savoir si le curseur entre ces valeurs contradictoires doit être modifié à la faveur des mutations sociologiques et juridiques. Derrière les discussions de principe et d’ordre philosophique, il s’agit aussi pour le législateur d’identifier les fondements ainsi que les avantages de la réserve héréditaire comme institution juridique.
À cet égard, l’observation des droits étrangers est riche d’enseignements. Elle montre que la liberté de disposer de ses biens à titre gratuit est partout encadrée par le droit. Elle n’est nulle part absolue. S’ils ignorent la réserve héréditaire, les droits de Common Law mettent en place d’autres freins à la liberté afin de protéger les proches du défunt. Il s’agit essentiellement de mécanismes judiciaires et alimentaires dont les inconvénients ne sont pas négligeables et dont les fondements sont différents.
Sophie GAUDEMET et Cécile PÉRÈS - Comme évoqué, la réflexion a comporté deux volets.
D’une part, près d’une quarantaine d’auditions ont été menées, qui ont grandement contribué à ouvrir et éclairer la réflexion. Les échanges, fort riches, sont à l’origine d’autant de contributions reproduites dans le rapport. Ont été entendus : des juristes, mais aussi des philosophes, des sociologues, des économistes... ; des universitaires, mais aussi des praticiens ; des spécialistes du droit français, mais aussi de droits étrangers, représentant des pays de droit continental, qui ont en partage la réserve héréditaire, et des pays de Common Law.
D’autre part, et dans le même temps, le groupe a poursuivi ses réflexions autour des deux principales questions auxquelles invitait la lettre de mission : sur le principe même de la réserve héréditaire, dont les échanges et débats n’ont cessé de confirmer le bien-fondé pour les descendants, et sur d’éventuelles perspectives d’amélioration du droit positif.
Sophie GAUDEMET et Cécile PÉRÈS - Il y a, pourrait-on dire à très grands traits, la première proposition et les cinquante et quelques autres.
La première proposition résume, à elle seule, la première partie du rapport. Elle consiste en réalité en une réaffirmation : le nécessaire maintien du principe même d’une réserve héréditaire des descendants en droit français, point d’équilibre entre le pouvoir de la volonté du de cujus et ses devoirs envers ses enfants. Loin d’être datée, la réserve fait au contraire partie de ces institutions étonnement modernes, dotées d’une singulière capacité d’adaptation.
Trois illustrations simplement :
Ceci explique que les autres propositions du rapport consistent en autant de suggestions d’améliorations du système. Car si rien ne commande d’abandonner la réserve ni de la modifier substantiellement, il n’est pas interdit de réfléchir à certaines évolutions. Le tout, sans omettre que les réformes sont en la matière récentes (2001 et 2006), longuement préparées par un travail approfondi, et que les facultés qu’elles ouvrent d’ores et déjà sont probablement pour partie insuffisamment connues.
Trois illustrations simplement là encore :
En somme, il s’agit bien davantage d’améliorations que de révolutions d’un système dont les réflexions et recherches menées ont largement confirmé que les atouts étaient nombreux et les facultés offertes peut-être parfois insuffisamment mesurées. Et si les propositions faites ne vont pas sans quelques retours en arrière, c’est qu’ils ont paru nécessaires pour mieux avancer.
Sophie GAUDEMET et Cécile PÉRÈS - Dans l’immédiat, ce travail a vocation à éclairer la réflexion menée par le gouvernement ainsi que par une Mission parlementaire en matière de philanthropie. Au-delà, le rapport pourrait inspirer une éventuelle réforme du droit des successions et des libéralités. À cette fin, le groupe de travail a formulé une série de propositions de textes législatifs.