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Les Éditions Panthéon-Assas publient ce mardi 29 octobre un nouvel essai intitulé La sobriété des organisations, de Jean-Baptiste WELTÉ, professeur agrégé en sciences de gestion à l’université de Dijon.
Analysant la notion de sobriété dans les organisations, cet essai est par ailleurs le premier ouvrage de la série « Organisations et sociétés », créée au sein des Éditions Panthéon-Assas par Étienne MACLOUF, professeur et codirecteur du Ciffop.
Cet ouvrage est né d’une proposition du professeur Étienne MACLOUF à partir du constat suivant : les organisations au sens large (les entreprises, les institutions publiques, les associations, les collectifs militants, etc.) sont essentiellement étudiées à travers leur propre point de vue, à savoir leur stratégie pour demeurer résilientes face aux changements sociétaux. Ici, l’objectif est inverse : questionner les réponses des organisations face aux enjeux de société, à partir d’un thème prégnant dans l’actualité, à savoir la sobriété. Dans cet essai, à partir de mes recherches, j’analyse comment cette notion, associée aux transitions environnementales, s’est emparée des organisations et comment celles-ci, en réponse, visent à se l’approprier. Dans l’ouvrage, je propose une typologie de huit modalités de réponse organisationnelle aux enjeux environnementaux, et tout particulièrement à la nécessité de la sobriété.
La sobriété est associée à une philosophie individuelle ancienne, présente chez les stoïciens et chez les épicuriens. Elle a pris place depuis plusieurs années dans l’actualité du débat public, notamment via la sobriété énergétique, à savoir l’idée qu’il faudrait parvenir à réduire sa consommation de ressources pour conserver sa souveraineté (et ainsi éviter une dépendance aux sources d’approvisionnement étrangères), mais également réduire les émissions de gaz à effet de serre. Face à l’urgence climatique, d’une sagesse individuelle, la sobriété est devenue une injonction politique et les organisations, en tant que vecteurs de production de l’action collective, l’ont intégrée à leur fonctionnement. Comme je l’illustre dans cet ouvrage, cette appropriation de la sobriété diffère selon les organisations. Certaines se sont construites en marge de cette notion, dans une stratégie de captation des ressources ; la sobriété y est une « excroissance », à la croisée de nombreuses tensions avec les objectifs qu’elles se sont fixées. Elles s’y conforment donc, au mieux. D’autres, à l'inverse, tentent de bâtir une stratégie délibérée de sobriété, avec les limites inhérentes aux collectifs humains.
Les sciences de gestion ont pour avantage de prendre pour objet d’étude des organisations qui ont une actualité et s’incarnent dans des actions, des décisions, des stratégies. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre leur écho. Elles fournissent en permanence matière à réfléchir. Les projets de recherche sont également des occasions d’observation. Je travaille souvent avec des organisations dans le cadre d’appels à projet de recherche ou de thèses Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche), financées par des organisations. Elles sont alors un cas d’application d’un objet de recherche en gestion. Il est ainsi aisé de pouvoir observer de l’intérieur les enjeux qui traversent ces organisations, et notamment celui de la sobriété. Par exemple, j’ai récemment travaillé avec Orange et la SNCF pour des recherches (sans que la sobriété soit nécessairement l’objet d’étude). Embarqué sur des terrains d’étude avec des managers, des clients et des usagers, j’ai ainsi pu recueillir de ces expériences de la matière concrète pour l’ouvrage.
Évidemment, on peut être pessimiste et fataliste quand on rédige ce type d’ouvrage. Il existe une créativité dans le discours managérial pour associer des contraires, inventer des concepts « coquille vide ». Rappelons que la sobriété est une philosophie individuelle, une sagesse intransigeante. Comment peut-elle s’appliquer à des organisations qui sont le théâtre de coalitions, de négociations, le produit de systèmes qui les dépassent ? Comme d’autres concepts bancals (développement durable, entreprise à mission, créativité organisationnelle, entreprise libérée, etc.), la sobriété dans les organisations s’avère souvent un affichage, un discours incantatoire, ou alors s’inscrit dans un périmètre d’action limité. Il y a parfois beaucoup d’envie individuelle, qui, malheureusement, s’abîme dans les réalités de l’organisation.
Cependant, je ne me satisfais pas de ce constat définitif. Toute l’agitation autour de la sobriété dans les organisations dialogue hors de ses frontières. Des normes internationales et des lieux de décision collectifs sont créés, des critères sont introduits pour évaluer les impacts environnementaux, des projets sont amendés, voire suspendus pour ces raisons. Sur le plan cognitif, la sobriété dans les organisations se propage dans l’espace public et contribue à une prise de conscience des nécessaires limites de nos actions dans des écosystèmes.
Par ailleurs, mieux comprendre les failles de la sobriété en tant que discours en vogue dans les organisations, mais limité dans ses potentialités de transformation, permet une meilleure lucidité à l’échelle de l’individu. Les attentes d’exemplarité pour des comportements sobres et les espoirs de dissémination par imitation resteront vains tant que les organisations seront imperméables à ces logiques. N’oublions pas que personne ne peut agir hors de toute organisation. Reste alors à imaginer des formes d’acceptation collective de nos limites humaines. C’est aussi le rôle et la tâche des organisations.
Cet essai s’adresse au grand public. Je pense en particulier aux étudiants qui aspirent à travailler dans les organisations et sont sensibles aux enjeux environnementaux. Ils peuvent trouver dans ce livre des clés d’analyse de leur futur environnement de travail. De même, les acteurs des organisations (collaborateurs, managers, décideurs, etc.) peuvent y trouver des clés de compréhension sur des situations vécues, notamment la difficulté d’agir en faveur de l’environnement dans des contextes organisationnels. J’ai observé, au cours de mes recherches de terrain, beaucoup de volonté individuelle et d’intelligence collective de personnes convaincues que leur organisation devait réduire son empreinte sur les écosystèmes et faire preuve de davantage de sobriété. Beaucoup continuent d’y croire et d’œuvrer en ce sens, malgré la contingence de réalités qui les rattrapent parfois. Ce livre est aussi, pour eux, une contribution aux réflexions qui les animent au quotidien.
Il se veut in fine le reflet de la série « Organisation et sociétés », et s’adresse plus généralement à tous ceux qui sont intéressés par la place que jouent les organisations dans les enjeux sociétaux : en l’occurrence, dans cet ouvrage, l’avenir de notre système terrestre.
Retrouvez cet ouvrage en librairie dès à présent.